Les différentes races du cochon ibérique : tradition et variété

L'Histoire du Cochon Ibérique sur la Péninsule Ibérique

Sur la péninsule Ibérique, une terre riche en traditions et en paysages variés, s'épanouit un trésor vivant : le cochon ibérique. Ce célèbre animal, symbole de la gastronomie espagnole, porte en lui des siècles d’histoire, d’adaptation et de culture. Son histoire est indissociable de celle de la péninsule, où l’homme et la nature ont conjugué leurs efforts pour créer une des merveilles du monde culinaire.

Les origines : une espèce ancienne et rustique

Les racines du cochon ibérique remontent à l'Antiquité. Descendant direct du Sus scrofa mediterraneus, un sanglier sauvage, ce porc s'est adapté aux paysages variés de la péninsule. Des fouilles archéologiques montrent que des cochons étaient déjà élevés en Espagne et au Portugal il y a plus de 4 000 ans, durant l'âge du Bronze. Les peuples autochtones, notamment les Ibères, pratiquaient une agriculture mixte qui incluait l’élevage de porcs.

Avec l’arrivée des Phéniciens au IXe siècle avant notre ère, puis des Romains, l’élevage porcin connut un tournant. Les Romains, grands amateurs de viande de porc, perfectionnèrent les méthodes d’élevage et de salaison. Le climat méditerranéen et les vastes forêts de chênes-lièges et de chênes verts devinrent le berceau idéal pour ces animaux.

La dehesa : le paradis du cochon ibérique

Au fil des siècles, le cochon ibérique s’est intégré à un écosystème unique : la dehesa. Ces vastes prairies clairsemées de chênes, typiques de l'Estrémadure, d'Andalousie et du sud du Portugal (l'Alentejo), constituent son habitat naturel. Les chênes y produisent des glands (bellotas) en abondance, qui sont la clé de l'alimentation des cochons ibériques.

L’élevage extensif dans la dehesa suit un cycle saisonnier. Les cochons, élevés en semi-liberté, parcourent des kilomètres chaque jour pour se nourrir, renforçant ainsi la qualité de leur viande. Cette méthode d’élevage, respectueuse de l’environnement, est aussi essentielle à la préservation de la biodiversité.

Un Élément de Tradition : Du Moyen Âge à Aujourd’hui

Durant la période médiévale, la consommation de porc devint un marqueur culturel important, en particulier en Espagne chrétienne, où elle s’opposait aux interdits alimentaires musulmans et juifs. Les cochons ibériques étaient élevés dans presque tous les villages, et leur viande constituait une source essentielle de protéines pour les populations rurales.

Avec l'essor de la charcuterie au cours des siècles, les méthodes de conservation et de transformation de la viande de porc furent perfectionnées. Les techniques de salaison et de séchage ont permis de créer des produits tels que le jamón ibérico, aujourd’hui un des joyaux de la cuisine ibérique grâce à ces saveurs complexes.

Le cochon ibérique aujourd’hui : un héritage vivant

De nos jours, le cochon ibérique est non seulement un animal emblématique, mais aussi un acteur économique clé dans plusieurs régions de la péninsule. Les élevages suivent des normes strictes pour garantir la qualité des produits, et le jambon ibérique est protégé par des appellations d’origine contrôlée (AOC). Lire notre article sur les différentes appellations et qualités de jambon.

Les deux grands familles du porc ibérique

Variétés noires :
1 - Noir lampiño (sans poils)
2 - Noir entrepelado
Variétés colorées :
3 - Retinto
4 - Torbiscal
5 - Manchado de Jabugo
6 - Blond andalou (Rubio Andaluz)

Le porc ibérique noir est considéré comme le plus ancien, rustique et apprécié pour son gras intramusculaire, donnant des jambons très haut de gamme. Les lignées colorées sont aussi ibériques, mais parfois plus productives (croissance plus rapide, meilleur rendement) bien qu’ayant une viande un peu moins infiltrée en gras. Le noir est souvent moins rentable à court terme, mais valorisé pour les produits haut de gamme. Le pourcentage de muscles est plus élevé dans les variétés colorées.

1 - Le porc Lampiño :

porc ibérique Lampiño

Le porc noir lampiño se reconnait facilement car il n'a pas de poils et son front présente des plis transversaux. Il a une grande capacité de croissance pendant la montanera.

Origine / région :
Il est originaire des provinces de Cáceres, Badajoz et Cordoue.

Caractéristiques :
Cette espèce est moins précoce et moins développée que les autres variétés et présente une plus grande tendance à l'engraissement. Elle se caractérise par une peau fine et l'absence de poils ou, le cas échéant, par des poils rares et fins, laissant de nombreux plis cutanés, en particulier dans la région frontale. La tête est bien proportionnée, avec un petit front, des oreilles larges et tombantes, un museau nettement allongé, avec parfois une tache blanche sur le bord du museau. Le museau est proéminent. Les membres sont plus courts, allant de très fins à épais.

Couleur :
La couleur de la robe est de différentes nuances, allant d'un noir profond à une nuance plus claire proche de l'ardoise.

La variété Lampiño, peu répandue, est encore présente en Extremadure (Provinces de Cáceres et Badajoz) et en Andalousie (province de Córdoba).

2 - Le porc noir entrepelado

porc ibérique Entrepelado

Le porc noir entrepelado a une ligne étirée, il trouve son origine dans les croisements entre le Retinto et le Lampiño, présentant des caractéristiques intermédiaires entre les deux, avec tout de même moins de graisse que le Lampiño.

Origine / région :
On trouve son origine dans la montagne de Córdoba.

Caractéristiques :
Ce porc est un peu plus précoce (croissance assez rapide) et moins gras que le Lampiño, mais sans atteindre les niveaux du Retinto en terme de quantité de viande. Il se distingue par la finesse de sa conformation (espace dans la carcasse). Le pelage est clairsemé, mais avec une augmentation plus évidente des poils sur la face dorsale. Ses membres sont également fins.

Couleur :
La peau est “Retinto” foncé (roux foncé) ou noire à la naissance. Les spécimens adultes ont une couleur noire mate intense.

Le résultat donne un bel animal, avec des membres fins, peu de poils, un long museau et une viande de bonne qualité. C'est la variété la plus abondante après le Retinto et elle est principalement représentée à Salamanque, Cáceres, Badajoz, Séville, Huelva et surtout dans la Sierra de Córdoba.

3 - Le porc retinto

porc ibérique Retinto

C'est la variété la plus répandue en raison de sa grande capacité de production. Au sein de la race de porcs ibériques Retinto, il existe plusieurs lignées. La “Retinto Extremadura” est la plus répandue de nos jours.

Origine / région :
La variété Retinta du porc ibérique était traditionnellement répandue dans tout le sud-ouest de l'Espagne, du sud de Zamora aux provinces andalouses de Cadix et de Malaga, jusqu'au centre de Tolède et de Ciudad Real.

Caractéristiques :
les porcs de cette race présentent toujours des poils de la même couleur que la peau, uniformément répartis sur le corps. Le squelette est fin et léger. Le front est large, les museaux bien proportionnés et les oreilles tournées vers l'avant et vers le bas. La ligne dorsale tend à la rectitude, avec des reins bien développés. Les pattes sont minces mais solides. Certains spécimens peuvent porter des "mamellas" *.

Couleur :
Sa robe est colorée en différentes teintes, de la plus claire, semblable à la cannelle, à la plus foncée ou retinta, d'où son nom actuel. Le trait distinctif est en effet la couleur rouge foncé uniforme de la robe, bien qu'il puisse y avoir des variations de couleur allant du rouge foncé au presque blond.

On la trouve aujourd’hui dans les provinces espagnoles de Séville, Cordoue, Salamanque, Badajoz, Tolède, Cáceres, Badajoz et Ciudad Real.
En tant que variété la plus représentative de la population actuelle de porcs ibériques, ce sont les spécimens qui présentent les caractéristiques les plus conformes au prototype racial standard : animaux de taille moyenne, légers, vifs et faciles à déplacer, toujours avec une peau pigmentée et un poil faible peu abondant. Si nous devions mentionner une caractéristique de cette race, nous ferions inévitablement allusion à l'extraordinaire finesse de leurs membres.

A noter :
Il existe une autre lignée de porcs ibériques Retinto : la portugaise, avec deux types différents, en fonction de la couleur de la robe, blonde ou retinto. Bien que sa peau soit toujours foncée, le “Rubio” ou “Ervideira” (en portugais) peut présenter des dépigmentations dans les sabots (veines blanchâtres), tandis que le “Retinto” ou “Caldeira” (en portugais) a toujours une robe rousse et une absence totale de dépigmentation. Cette lignée a participé activement à la création des plus importants troupeaux espagnols de Retinto.

* Mamella : appendice long et ovale que l'on trouve sur le fanon de certains animaux, en particulier les porcs et les chèvres.

4 - le porc Torbiscal

porc ibérique Torbiscal

C'est la variété la plus jeune parmi les colorés, fruit d’un travail effectué dans les années 1940.

Origine / région :
Elle est issue du croisement de quatre variétés : les portugaises Ervideira et Cardería, et les espagnoles Campanario et Puebla, qui ont formé en 1944 le troupeau fondateur dans le “Deheson del Encinar” située à Oropesa (Tolède) à partir des porcs ibériques les plus purs et les plus caractéristiques.

Caractéristiques :
Il s'agit d'animaux de plus grande taille que la moyenne, très résistants et plus prolifiques en raison de la vigueur hybride résultant de leur origine. Cette variété possède des poils abondants. La tête est caractéristique avec des oreilles et un museau longs. La ligne dorso-lombaire est corrigée, avec plus de longueur et de rectitude.

Couleur :
La peau peut être claire ou foncée, semblable à l'ardoise, et les sabots peuvent ne pas avoir une couleur foncée uniforme, présentant des zones dépigmentées.

La lignée du porc ibérique Torbiscal est également en voie d'extinction : ces porcs ont une petite bande dépigmentée sur les sabots, ce qui rendait de nombreux clients méfiants lorsqu'ils achetaient un « jambon ibérique pata negra ». Pour cette raison, les éleveurs de porcs de cette race ont progressivement cessé de les élever, au point qu'ils ont presque disparu, les clients préférant d'autres jambons lorsqu'ils voyaient la bande dépigmentée. Ils considéraient qu'il ne s'agissait pas d'un "authentique pata negra".

Le Torbiscal se trouve aujourd’hui en Extremadura, Andalucía, Castilla-La Mancha y Castilla y León et surtout proche de Cordoue où une ferme élève des femelles reproductrices pour maintenir la lignée.

5 - Le Manchado de Jabugo

porc ibérique Manchado de Jabugo

Il est également connu sous le nom de Jabugo car il se trouve dans la Sierra de Huelva. Il est facilement identifiable à son pelage blond avec des taches noires ou grises le long du corps.

Origine / région :
Son origine est attribuée à des croisements effectués au XIXe siècle entre des porcs ibériques noirs et des porcs ibériques roux. On suppose aussi que les races de cochons roses Large White et Berkshire ont également contribué à la fondation de cette population, qui est restée isolée pendant des décennies dans certains villages de la Sierra de Aracena.

Caractéristiques :
L'apparence du Manchado de Jabugo est incomparable, avec une coloration unique. Son corps robuste et bien proportionné est complété par des pattes fines et résistantes, parfaitement adaptées au terrain accidenté de la montagne de Huelva. Les éleveurs traditionnels soulignent son extraordinaire capacité à brouter sur des terrains difficiles et son excellente utilisation des ressources du pâturage. La tête de taille moyenne, le museau allongé et les oreilles caractéristiques orientées vers l'avant complètent le profil d'une race unique parmi les porcs ibériques. L'infiltration de la graisse dans le muscle, caractéristique de toutes les races ibériques, est particulièrement prononcée chez le porc tacheté de Jabugo, ce qui permet d'obtenir un produit final d'une douceur et d'une onctuosité inégalées.

Il fut sur le point de disparaître à cause de sa productivité et de la couleur de ses sabots. Pour déguster un jambon Manchado de Jabugo, il faut beaucoup de patience, car il peut s'écouler jusqu'à dix ans entre la naissance de l'animal et sa consommation. En outre, les portées sont plus petites et se reproduisent donc plus lentement. La couleur de son sabot n'est pas noire, comme c'est traditionnellement le cas pour les jambons ibériques nourris aux glands, ce qui explique qu'il ait été rejeté commercialement par la norme. Ces raisons ont conduit à son remplacement par d'autres variétés plus productives, capables d'obtenir des rendements plus élevés.

Couleur :
Sa peau présente une coloration variable plus ou moins foncée dans les tons roux, dont l'expression la plus typique est la couleur rougeâtre, et surtout, sa peau est parsemée de taches noires. Cette pigmentation particulière n'est pas seulement esthétique, mais a des implications importantes pour son adaptation au climat local et sa résistance aux conditions environnementales.

Cette race se distingue par sa rusticité et sa capacité d'adaptation aux conditions difficiles de la dehesa. Son alimentation est principalement basée sur les pâturages naturels et les glands pendant la période de la « montanera », ce qui confère à sa viande une saveur et une qualité exceptionnelles. Les jambons les plus chers vendus à ce jour (2025) en sont issus.

6 - Le porc "Rubio" andalous

porc ibérique Rubio dorado

Celui-ci a une robe beaucoup plus claire que les lignées précédentes, presque dorée, ce qui le rend facilement identifiable. Il est appelé Andalous précisément parce qu'on le trouve habituellement dans ces régions.

Origine / région :
il est originaire de la montagne autour de Ronda, dans la Province de Malaga.

Caractéristiques :
Ces porcs ont un poil blond, presque doré, soyeux et abondant. Ils sont de petite taille et bien adaptés aux pâturages de montagne. Leurs pattes sont courtes et fines, musclées et développées. Ils ont également un museau concave et des oreilles très courtes, et ont besoin de plus de nourriture pour reconstituer les kilos nécessaires afin d’atteindre les poids ibériques officiels. Près de trois ans d'élevage sont nécessaires pour les obtenir, de sorte que toutes les ressources offertes par la dehesa sont utilisées au maximum.

Couleur :
Bien que la couleur de sa robe change, il dispose de teintes allant du blond au doré.

Normalement, ces porcs sont élevés selon les méthodes les plus traditionnelles, dans des pâturages et en se nourrissant de glands. Cela contribue également à la qualité qu'ils offrent par la suite.

Pratiquement disparus aujourd'hui, quelques spécimens sauvages de cette race ont été trouvés dans les montagnes de Ronda, où ils vivent en totale liberté. Une variété qui a été au bord de l'extinction et qui a donc été récupérée grâce à la Finca La Algaba et à la Dehesa de Los Monteros, avec quelques spécimens trouvés dans la Serranía de Ronda.


Voici un aperçu des différentes variétés de cochons ibériques au sein des deux grandes familles. Cependant, comme vous pouvez le constater des lignées ont quasiment disparu avant d’être introduites à nouveau par mode, passion, ou par goût tout simplement. Nous ne pouvons citer ici toutes les espèces en voie de disparition, mais nous évoquerons les deux suivantes, liées aux zones de production avec lesquelles nous travaillons.

Le porc noir de "los Pedroches" :
La vallée de Los Pedroches est une zone privilégiée qui compte quelque 300 000 hectares de Dehesa de Encinar. Et, bien sûr, elle possède également une lignée de la variété de porc noir ibérique. Ces derniers étaient au bord de l'extinction, mais grâce aux efforts acharnés de personnes, d'associations et d'organisations, la catastrophe a été évitée…
Le porc noir de Los Pedroches est un animal à la conformation très allongée, aux oreilles tombantes et à la croissance assez bonne. Les études réalisées pour favoriser sa récupération montrent qu'il s'agit d'une race qui s'améliore, car elle offre un peu plus de rendement en viande et une plus grande vigueur de croissance, ce qui est très important.

Le "dorado Gatidano" :
Son pelage est rouge vif, presque orange, ses membres sont minces et son développement est lent et rare, peut-être en raison du niveau élevé de consanguinité. Une fois la lignée officiellement éteinte, les membres du Conseil provincial de Cadix ont chassé, à l'aide de cages, des spécimens sauvages dans la campagne de Tarifa. Certains spécimens sont allés dans un centre de récupération d'animaux en danger d'extinction… Cette lignée de porcs ibériques existera peut-être officiellement une fois que sa récupération aura été confirmée, car elle sera à nouveau inscrite dans le livre généalogique de la race. Les études scientifiques de l'Université de Cordoue démontrent la forte infiltration de graisse « acide oléique » dans le muscle et la plus grande présence de fer parmi d'autres qualités...

Les cochons roses (cochons blancs en espagnol) sont plus nombreux et variés, sans entrer dans le détail des races, ce serait l'objet d'un autre article, en liaison avec le jambon serrano, nous pouvons juste citer : Hampshire, Landrace, Large white, Pietrain, Yorkshire, Berkshire, Duroc-Jersey. Ils atteignent la maturité sexuelle à 8 mois, tandis que les porcs ibériques l'atteignent à 5 mois.

Le mythe de la transpiration du porc :
Bien qu'il s'agisse d'une expression très courante "suer comme un porc", la vérité est que les porcs ibériques ne peuvent pas transpirer. En effet, ils ne possèdent pas de glandes sudoripares. Pour réguler leur température et se protéger du soleil, les porcs utilisent principalement de l'eau et de la boue.

Le cochon ibérique, quelque soit sa variété, évolue librement dans la dehesa, un écosystème typique du sud-ouest de l’Espagne composé de chênes et de prairies. Il y mène une vie semi-sauvage, surtout durant la montanera (octobre à février), période où il se nourrit exclusivement de glands, herbes et racines. Cet environnement et cette alimentation lente favorisent le développement d’un gras infiltré, fondant et aromatique. Rustique, endurant et bien adapté à ce milieu, le porc ibérique a toujours été un animal étroitement lié à la tradition agro-sylvo-pastorale méditerranéenne.

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